Livre de chevet
1970, 208 pages
A compte d'auteur

Cet ouvrage raconte un époque charnière dans la vie l'auteur. Il rentre en Europe après avoir vécu dix ans au Canada, redécouvre le vieux continent. Au même moment trimbalé sur tous les coins de la planète, l'inimaginable se produit. Il tombe un jour raide mort dans la rue, puis sera paralysé durant trois mois. Cet immobilisme, insupportable pour tout Pierre Dudan qu'il est, lui fait remettre en question sa vie et son sens.

     
  EXTRAITS   1er mai 1968.

Avec ce sens aigu de l’innoportun qui me caractérise, c'est la date que je choisis pour faire « ma rentrée à Paris », après presque dix ans d'absence. Dix ans pendant lesquels j'ai — en quelque sorte — pris le maquis au Canada. Dans le Québec, seule terre où mes racines de nordique francophone (Vaudois et Russe) pouvaient se planter avec voracité, en profondeur.
Cela m'avait permis également d'échapper au raz-de-marée « Yéyé-Gogo » qui déferlait sur la chanson française et la submergeait.
J'ai hésité longtemps avant de prendre la décision de ce retour à la Ville Lumière. J'étais trop bien dans mon chalet de bois rond, entre mon Lac Bleu et ma Rivière Perdue... quand par hasard, j'ai ouvert le
« Canard enchaîné » et y ai découvert une toute petite phrase : « A la recherche Dudan perdu... ».
Comme a dit je ne sais plus quel imbécile, « c'est la goutte d'eau qui a fait éclater l’incendie ». J'ai pris mon baluchon, mes chansons nouvelles, mon avion et... le 1er mai, je débarque à Orly.


17 juin 1969.

Mon état empire de jour en jour. Je reste assis 24 heures sur 24 dans ma chaise roulante. Les broncho-spasmes m'étouffent avec de plus en plus d'horreur... Mon physiothérapeute fait pourtant ce qu'il peut. Et même plus. Il recopie pour lui des passages des « Cent pas dans ma tête »...
Mon voisin de grabat est un homme admirable, un pasteur portugais. On lui a enlevé un rein. On parle de lui enlever l’estomac.
Son visage n'est que douceur et sérénité. J'écris pour lui « Question de vie ou de mort ». Il devient mon grand ami.
Nous sommes dans l’antichambre des urgences. Tous les quart d'heures, l’ambulance amène un écrasé, un suicidé, un asphyxié... on opère d'urgence...
Dehors, par la fenêtre, l’été s'est installé avec indécence. Il prend son bain de soleil.
Moi, je crève dans mon bain de vapeur.
« L'asthme bronchique est une maladie incurable... »
Je suis de quinze kilos au-dessous de mon poids normal.
Remarcherai-je un jour ?... Pourrai-je rejouer du piano ?... Chanter ?...
« II faut vous y faire, mon bon ami... garder le moral... »


11 mars 1970.

Me revoilà dans cette envoûtante Guadeloupe. J'ai enfin pu cesser de prendre mes sales pilules. Je vais tenter de revenir doucement à la vie.
(…)
J'ai retrouvé mon paradis secret de nudiste convaincu. (Si l'on naît nu, si l'on meurt nu, pourquoi ne pas vivre nu si la température le permet ?
... vous ne répondez pas ? tant pis). Oui, mon paradis nudiste de la Pointe Tarare, à gauche, environ deux kilomètres avant d'arriver à la Pointe des Châteaux.
C'est aujourd'hui mercredi. Il n'y a personne. Je suis tout seul, comme le premier homme au monde. Je suis immergé sensuellement dans l'eau turquoise et tiède dont la langue souple lèche délicatement le sable blanc de la plage vierge... Au loin, d'un bleu roi majestueux, l'Atlantique sud est pailleté d'étoiles. Il se heurte à la barrière coralienne qui protège « ma » plage. Il s'y brise en permanence en une frange d'écume liliale. Effervescence lascive. Fausse colère. Fausse douceur...
     
©Pierre Dudan